mercredi, juin 13, 2007

Comparez et jugez.

Au moment où nous ne cessons de réclamer à la France la liberté de penser et d'écrire, la Nadhara ou Conseil des inspecteurs de la Grande Mosquée, au nom de je ne sais quel fanatisme étroit et aveugle cherche à nous ramener à plusieurs siècles en arrière, en demandant à la section d'Etat l'interdiction de la brochure La Femme musulmane devant la religion et la société, de M. Tahar Haddad.
Nous ignorons pour ne l'avoir pas encore lue, si cette brochure porte atteinte aux dogmes coraniques dont ces messieurs de la Nadhara prétendent être les farouches défenseurs.Mais qu'ils nous permettent de trouver bien déplacée et bien tardive leur ardeur à défendre une foi que, par ailleurs, ils laissent battre en brèche avec leur complaisance si ce n'est pas avec leur complicité.
Se sont-ils donc émus lorsque circula le livre de Monseigneur Pons qui est un long réquisitoire contre l'Islam, plein d'insultes grossières contre notre Prophète ? Se sont-ils formalisés lors du carnaval eucharistique quand il fut procédé à une ample distribution de brochures vertes éditées en arabe et incitant les Musulmans à abjurer la foi de leurs aïeux pour embrasser le catholicisme ? Ont-ils même été scandalisés par le défilé de croisées et de croisés ? Ont-ils seulement bougé lorsque les suppôts dé Monseigneur Lemaître firent élever devant Carthage un arc de triomphe portant le signe de la croix et cette inscription : "Par ceci tu vaincras !" ? Se sont-ils jamais inquiétés lorsque des religieuses parcourent tous les jours la ville arabe et pénètrent dans les maisons pour distribuer des gâteaux et des objets pieux en invitant les parents à envoyer leurs filles dans les écoles congréganistes ?
Non, pendant ce temps-là, ces messieurs digéraient tranquillement leur meloukia et égrenaient avec béatitude leur chapelet en se curant les orteils. Ils n'ont pas pipé. Si, à cette époque-là, ils avaient fait le quart de ce qu'ils font aujourd'hui contre le livre de Haddad, l'archevêché aurait sûrement été obligé de décommander son carnaval et d'arrêter ses ridicules mascarades.
Des jeunes, des potaches ont été emprisonnés pour avoir manifesté contre l'intention de la Direction de l'Instruction publique d'installer des lits pour les moines congressistes dans la mosquée du Collège Sadiki. Ces messieurs n'ont pas pipé.
Des journalistes arabes ont été convoqués à la Sûreté, menacés de la suspension de leurs journaux et tenus responsables de tout mouvement de population contre le carnaval eucharistique. Ces messieurs n'ont pas pipé.
Il a fallu le livre de Haddad pour les tirer de leur léthargie. Aujourd'hui, ils se dressent comme un seul homme pour défendre l'Islam menacé dans ses bases et regrettent de ne pouvoir décerner contre le pauvre Haddad une bulle d'excommunication majeure et mettre à l'index sa brochure ou plutôt faire de tous les exemplaires un autodafé qui servirait à lui rôtir les pieds pour lui donner un avant-goût des supplices de l'Enfer et lui enlever à jamais l'envie de jeter le doute dans l'âme des fidèles.
Pour les besoins de la cause, on a fait revenir sur la scène Sidi Sadok Ennifar, ancien destourien, puis cadi révoqué. Aujourd'hui, selon un bruit persistant qui circule en ville, il serait sérieusement question de sa réintégration comme cadi. Et, pour préparer l'opinion publique, il entre en scène avec fracas, prêche à la Grande Mosquée contre le livre de Haddad aux lieu et place de Sidi Hamda Chérif ; le nouvel apôtre, plein de foi et de dignité offensées, prononce le plus violent et le plus fougueux des réquisitoires contre l'auteur de "La Femme musulmane devant la religion et la société" qui, toujours modeste et effacé, proteste contre cet honneur.

Mais l'ex-destourien et ex-cadi s'était grossièrement trompé. Il voulait soulever l'auditoire d'admiration. On se serait apitoyé sur le sort d'un homme aussi pieux, révoqué par une mesure injuste. Et son retour au Divan aurait été inaperçu, sinon accueilli avec joie. Le mektoub et le gros bon sens du populo en ont décidé autrement.
Le livre de Haddad a donc failli faire réintégrer dans ses fonctions Sidi Sadok Ennifer. Le coup a raté. Mais rien n'indique que la Nadhara renoncera à sa demande d'interdiction.
Il faut croire, au contraire, que dépité de son échec, en ce qui concerne la réintégration et la réhabilitation d'une brillante unité, elle insistera davantage pour obtenir satisfaction.
Contre cette mentalité inquisitoriale, dont fait preuve la Nadhara, nous ne saurions trop élever nos protestations, au nom de la liberté de pensée que nous avons inscrite en tête de notre programme.
Nous n'ignorons pas que cette attitude ne manquera pas de faire déchaîner sur notre journal une tempête de calomnies.
Mais tant pis. Nous aurons fait courageusement notre devoir de Tunisien, non pas en partisan de M. Tahar Haddad, mais simplement en ami de la Vérité et de la Liberté.


ABDELAZIZ LAROUI. Le Croissant ; n° 10-11 du 24 octobre 1930.

5 commentaires:

Téméraire a dit…

Merci pour ce texte instructif qui nous relate des événements inconnus par la populace.

SELMA a dit…

ohh que j ai aimé ce post, merci cher confrère

@tem a dit…

c'était il y a 77 ans, on en est où aujourd'hui de cette liberté d'expression! Merci pour ce rappel.

Kanvan a dit…

Très beau texte. J'ai un pincement au coeur quand je vois que Tahar Haddad est encore aussi décrié qu'avant et que la liberté de pensée soit encore une denrée rare...

Anonyme a dit…

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