mercredi, septembre 05, 2007

Ramadan dans une semaine.

Moins d'une semaine nous sépare du Ramadan de l'année 1355, le mois durant lequel les Musulmans observeront le jeûne , douze heures environ par jour.
Pendant ces trente jours, ou vingt neuf – jamais trente et un sauf erreur, rare du reste– la vie à la Médina marchera au ralenti, les cafés maures seront fermés toute la journée, les gros travaux seront laissés au mois de Chawal, les grosses affaires ne seront pas conclues, un horaire spécial permettra aux fonctionnaires de ne faire que quelques heures de présence dans les administrations, les boucheries, les épiceries les pâtisseries seront assiégées, les oeufs, le miel, le beurre, les poulets connaîtront des cours jamais atteints en temps ordinaire, la garde-robe de chacun sera renouvelée selon ses moyens, les magasins de confection, de bonneterie, de chaussures, de soieries, les tailleurs connaîtront le "coup de feu" des années d'opulence et auront l'illusion d'un retour de ces temps révolus, les mendiants seront gavés et il ne leur sera permis d'avoir faim qu'aux heures où tous les fidèles auront faim ; certains restaurants qui recrutent le plus clair de leur clientèle parmi les musulmans, mettront leurs lumières en veilleuse, fermeront ou feront faillite, une clientèle qui ne consommera pas, stationnera des heures entières sur les terrasses des cafés de l'avenue au grand dam des garçons qui supputent en de longs calculs mentaux les bénéfices dont ils seront ainsi frustrés.
Le soir, la ville sera illuminée à giorno, les minarets clignoteront, des guirlandes multicolores égayeront les souks, les rues, les places. Une vie nocturne, grouillante, tapageuse, criante, jacassante, faite de mille bruits, de mille musiques ; les forgerons, les chaudronniers feront retenir l'enclume, les savetiers battront leur cuir, les chaouachis gratteront leurs chéchias, les bransis chanteront vit cousant leurs jebbas ; les taxis, les voitures de place trimballeront des familles entières, bruits de ferraille, échappement libre, claquements de fouets, son de trompe, de claxon, jurons variés, rires, plaisanteries, brocards, quolibets, les cafés maures se torpilleront A coups de phonographes, Abdulwahab, Oum Kolsoum, Chafia, Fethia, malouf, jazz ; les agents de la Médina tiendront un barrage de protection pour prévenir les incursions des dames musulmanes dans l'enceinte d'Halfaouine où un Luna-Park miniature fera courir la population avec ses manèges, ses balançoires, ses tirs, ses karakouz.
Smail Pacha, tabbal, zakar, lanternes magiques, cartomanciens, prestidigitateurs, exhibitions de boxe, de lutte, jeux de hasard, dés, bonneteau, danse du ventre.
Dans quelques jours cette dernière tiendra ses assises un peu partout. Des concerts orientaux sortis on ne sait d'où verront les évolutions de telle ou telle danseuse, retiendront des trémolos de tel ou tel chanteur et feront plusieurs séances par soirée. Installations de fortune la plupart du temps, bâches à protection précaire, chaises mobiles, entrées uniques, portes de secours inexistantes, peu ou pas de police. La Municipalité aura fort à faire pour délivrer les autorisations qui seront subordonnées au passage d'une commission "ad hoc". Souhaitons, dans l'intérêt des spectateurs, et pour que toute cause d'accident soit le plus possible éliminée, qu'on ne soit pas trop généreux dans la délivrance des autorisations d'ouverture de concerts orientaux.
La fête durera très tard dans la nuit. On dansera, on jouera, on travaillera partout. A cinq heures du matin un coup de canon clôturera toute activité, arrêtera tout bruit, éteindra toute lumière. Après le lest du "s'hour" chacun demandera à un sommeil réparateur, un repos bien gagné et toute la matinée du lendemain la ville sera déserte sauf quelques balayeurs faméliques qui balayeront sans conviction les débris de la fête et quelques cochers qui sommeilleront sur leur siège, semblant être là uniquement par acquis de conscience.
A midi, comme sous l'effet d'une baguette magique, la ville se réveillera, les citadins, les yeux rouges de sommeil, sortiront avec leurs couffins, allant aux provisions, les bouchers ouvriront avec fracas leurs éventaires, les voitures à bras rouleront et leurs conducteurs crieront leurs marchandises ; les marchandages commenceront, les cris, les appels, les disputes, les coups de poing et les coups de bâton d'une population exacerbée, bougonne, susceptible, les nerfs à fleur de peau de n'avoir pas mangé...


ABDELAZIZ LAROUI. Le petit Matin ; 11 novembre 1936.

6 commentaires:

Téméraire a dit…

J'ai commencé à formuler des remarques et àmoitié du texte, j'ai sauté vers la fin pour constater le texte de Laroui écrit en 1936.

Bravo pour cette sélection qui décrit Ramadan d'Antan

aboulhassen a dit…

70 ans après et certainement des siècles auparavant,rien n'a changé nous vivons un phénomène cyclique qui n'a aucune tendence à muter.

CITIZEN a dit…

@ téméraire : Rak kolt année 1355 !?? achbih dhaye3 feha hedha.

Anonyme a dit…

Excellent texte. Merci.

Avant de voir la signature, j'ai quand même été étonnée: ce genre de choses existent encore??? Surement dans la Médina alors!!!

Pour moi, 1355 ne signifie pas grand chose si on ne me le fait pas remarquer.

Téméraire a dit…

Oui dhaye3, je n'ai pas fait attention de l'année Hégire !!!!

Anonyme a dit…

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