jeudi, septembre 06, 2007

Le Coran déprécie-t-il la femme ?

Texte de MOHAMED TALBI. Publié le 5 décembre 2000.

Sous le titre « L'islam et les femmes », un lecteur signant J.V , qui n'est sûrement pas un novice en la matière, cite, dans un courrier du Figaro, quatre versets coraniques qu'il juge dépréciatifs pour la femme et attestant, dans le texte « fondateur » de l'islam, son statut d'infériorité. Nous allons les reprendre, dans l'ordre, avec une brève élucidation du sens, non pas tellement pour les non-musulmans et les nés musulmans « désislamisés » - ceux-là leur religion est faite, pour eux bien faite, définitivement faite, et je n'ai aucun désir de polémiquer -, mais pour les musulmans, particulièrement ceux qui vivent en Occident, et plus particulièrement encore pour les euro-musulmans.

1) Sourate II, verset 228 : « Vos femmes sont pour vous un champ de labour. Allez à votre champ comme vous voudrez. »

Il s'agit de toute évidence d'une métaphore. Pour en comprendre le sens, il nous faut nous souvenir des tabous sexuels. La sourate II a été révélée - nous disons en vocabulaire coranique et musulman « est descendue » - à Médine, c'est-à-dire dans un milieu où le tiers de la population au moins était constitué de Juifs très conservateurs, fortement attachés à l'éthique sexuelle talmudique qui réglemente d'une manière précise et très restrictive les relations entre époux, et interdit particulièrement tout rapport anal. Il y avait aussi à Médine, en moins grand nombre, des chrétiens pour qui la sexualité confine au péché. En 165, saint Justin écrit : « Nous, chrétiens, si nous nous marions, c'est pour élever des enfants. » Et pour saint Augustin (354-430) l'acte d'amour entre époux reste quand même un péché, il est vrai véniel cependant, tolérable en somme. Dans ces conditions, le célibat est préférable au mariage, et le meilleur des états est celui d'eunuque (Matt. : XIX, 12). On connaît la polémique chrétienne contre l'islam accusé d'être laxiste, et contre le Prophète aux moeurs dissolues. L'éthique chrétienne, très exigeante en matière de sexualité, est du reste sans cesse rappelée par le Saint-Siège aux fidèles. C'est dans ce contexte qu'il faut placer le verset en question.

L'islam, en situation polémique à Médine avec le judaïsme et le christianisme, rejette tous les tabous sexuels. Aux interrogations des musulmans confrontés à ces tabous, le Coran répond : « Vos femmes sont pour vous un champ de labour. » Cette image était fréquente dans de nombreuses traditions religieuses (Mircea Eliade, Traité d'histoire des religions, Paris, 1949, pp. 224-227) et n'avait rien de péjoratif. Dans un verset précédent, il est fait appel à une autre image : « Elles sont un vêtement pour vous et vous êtes un vêtement pour elles » en toute participation et toute égalité. Le verset en question, dont de nombreux théologiens musulmans ont voulu restreindre le sens, signifie donc : pas de tabous sexuels, tous les orifices sont bons, labourez vos femmes de caresses et laissez-vous labourer par elles. L'acte sexuel en islam est un acte d'amour sans restriction. Loin de confiner au péché, il peut s'élever au niveau de la prière, même chez les soufis, ce qui est inconcevable pour une mentalité occidentale, et c'est ce que fait ressortir Malek Chebel dans son Encyclopédie de l'amour en islam (Payot, 1995), en mettant en relief « le bien jouir » dans l'éthique sexuelle musulmane.

2) Sourate II, verset 228 : « Les hommes ont une prééminence sur elles. »

Il s'agit d'une mauvaise traduction d'une expression hors texte et légèrement tronquée. J.V. reproduit la traduction de Denise Masson, qualifiée faussement de « traduction reconnue par l'islam » orthodoxe « comme la première interprétation valable en français du texte musulman fondateur. » Il s'agit d'un mythe soigneusement propagé et entretenu par l'auteur. Il n'y a pas de traduction canonique du Coran.

Le Coran a été traduit au moins dans une centaine de langues. En 1989, Hamidullah, auteur d'une traduction française, cite, avec nom d'auteur, titre, date et lieu d'édition : 175 traductions anglaises, 70 françaises et 60 allemandes. Cette abondance est la preuve qu'il n'y a pas de traduction parfaite, canonique ou « orthodoxe » du Coran, et elle est une éloquente illustration de l'adage latin : traduttore, traditore (« traducteur, traître »). Le Coran est le seul texte sacré qui nous soit parvenu dans son intégralité, dans sa langue originelle, par une transmission écrite et orale continue et simultanée. Lorsqu'on voit les divergences entre les traductions, on dit : heureusement ! Dès lors et en définitive seul le texte arabe fait foi.

Voici la traduction de Médine, en remplaçant Allah par Dieu, et en y insérant un mot omis : daraja (« degré »). Nous donnons le verset en entier pour remettre l'expression dans son contexte : « Les femmes divorcées doivent observer un délai d'attente de trois menstrues ; et il ne leur est pas permis de taire ce que Dieu a créé dans leurs ventres, si elles croient en Dieu et au Jour dernier. Et leurs maris seront plus en droit de les reprendre pendant cette période, s'ils veulent la réconciliation. Quant à elles, elles ont des droits équivalents à leurs obligations, conformément à la bienséance. Mais les hommes ont cependant prédominance d'un degré sur elles. » Berque traduit « préséance ».

Selon la Loi mosaïque, un homme qui a répudié sa femme, si celle-ci se remarie, est de nouveau répudiée ou devient veuve, son premier mari ne peut plus la reprendre « après qu'elle aura été rendue impure. C'est une abomination devant le Seigneur » (Dt. : XXIV, 1-4).

On saisit la modification introduite par le Coran dans le milieu médinois, fortement peuplé de juifs avec lesquels le Coran est en constant dialogue. En islam, le mari, dans la période « d'attente de trois menstrues » jouit d'un privilège, ou d'une « préséance d'un degré », s'il désire sincèrement « la réconciliation », et s'il n'est pas mû par une quelconque arrière-pensée, pour reprendre sa femme. De toute évidence, la mesure vise la stabilité du mariage, car si l'islam, comme le judaïsme, autorise le divorce - dont la femme en parfaite égalité avec l'homme peut prendre l'initiative si elle le stipule dans son contrat de mariage - il n'en reste pas moins que, selon un dit du Prophète bien attesté, aux yeux de Dieu, le permis le plus détestable est le divorce. Pas question donc dans le verset en question d'une quelconque infériorité de la femme. Si celle-ci refuse « la réconciliation », elle peut toujours plaider la mauvaise intention du mari. Le droit moderne n'est pas meilleur dans un domaine aussi délicat que le mariage, dans lequel il faut bien aussi prendre en compte l'intérêt des enfants.

3) Sourate II, verset 282 : « Le témoignage d'une femme vaut la moitié de celui d'un homme. »

Il ne s'agit pas d'une traduction, mais d'un abrègement appréciatif de l'auteur. Voici la traduction de Médine du verset en question. À propos du contrat de reconnaissance de dette le Coran stipule : « Faites-en témoigner par deux témoins d'entre vos hommes ; et à défaut de deux hommes, un homme et deux femmes d'entre ceux que vous agréez comme témoins, en sorte que si l'une d'elles s'égare, l'autre puisse lui rappeler. » Il n'est pas dit que « le témoignage d'une femme vaut la moitié de celui d'un homme ». La femme n'est pas la moitié d'un homme : elle est avec l'homme une même âme en deux. La raison invoquée n'est pas l'infériorité congénitale de la femme par rapport à l'homme, mais le fait que la femme, selon les idées de l'époque et la répartition sociale des tâches, était considérée plus exposée que l'homme - davantage engagé dans les affaires de commerce et de dettes - à l'oubli dans ce domaine particulier. Si l'on tient compte des coutumes de l'époque et du milieu de Médine, où le commerce était dans une large mesure dominé par les juifs, donc par la Loi mosaïque, le verset en question a un caractère révolutionnaire pour la promotion de la femme qui, selon la Loi mosaïque, est complètement disqualifiée en matière de témoignage (Dt. : XXIX, 15 ; confirmée par Jésus, Jn. : VIII, 17 ; et Mt. : XVIII, 16).

En Israël, la disqualification des femmes en matière de témoignage ne fut abolie qu'en 1951. Le Coran, vu les pesanteurs de l'histoire et les conditions de l'époque, n'avait pas pu aller plus loin - ce n'était pas sage de le faire - mais il avait indiqué la bonne direction, et c'est ce qui compte : l'évolution vers l'égalité, dans le témoignage comme en tout. Le Coran en effet n'est pas un texte clos ; il est, selon ses propres termes, hudan (326 occurrences) « guidance », « il guide vers ce qui est le meilleur » (Coran : XVII, 9).

4) Sourate 4 verset 34 : « Les hommes ont autorité sur les femmes [...] et frappez-les. »

J.V. altère la traduction de D. Masson : il remplace « Dieu » par « Allah » ; comme il connaît les nuances de sa langue, on voit l'intention ; et il supprime un mot : « assurer ». De toute façon la traduction est mauvaise. Voici celle que nous proposons : « Il est fait obligation aux hommes de subvenir aux besoins (qawwâmûna) des femmes, en raison des avantages consentis par Dieu aux uns sur les autres, et il leur incombe de ce fait de faire dépenses sur leurs biens. Les femmes de bien font preuve de dévotion, et ne divulguent pas la vie intime qui est sous protection de Dieu. Quant à celles dont vous craignez la rébellion et la répulsion (nushûzahunna), raisonnez-les ; faites lit à part avec elles ; enfin battez-les. Si elles vous obéissent, il ne vous reste plus aucune raison d'être injustes envers elles. Dieu est Haut et Grand ! » Sous-entendu : pensez-y.

Faute de place nous ne pouvons commenter ce verset. Limitons-nous à dire que dans toutes nos sociétés, l'homme est chef de famille. Battre les femmes était une coutume de La Mecque. Elle fut interdite après l'Hégire à Médine, ce qui provoqua de graves troubles sociaux à la veille de la bataille d'Ohod. Le temps n'était pas aux troubles. Le verset ci-dessus vint y mettre fin. Le Prophète commenta : « Le meilleur d'entre vous ne frappe pas sa femme. » Eu égard à ces considérations, un exégète aussi rigoureux que le Tunisien Tahar Ben Achour estime que battre sa femme est un délit qui relève des tribunaux.

6 commentaires:

Téméraire a dit…

grosso modo, j'apprécie beaucoup Talbi et surtout sa méthode de mettre le texte dans son contexte historique non seulement par rapport aux événement de l'époque mais aussi par rapport à la bible ancien et nouveau testament pour démontrer l'amélioration nette qu'elle apporte par rapport à l'existant.

CITIZEN a dit…

@ Téméraire: La considération de la révélation en fonction de son contexte historique est un point fort de Talbi. Il y en a un autre que je trouve particulièrement intéréssant ; c'est la lecture finaliste des texte " makassidiyya" ou selon les termes de Talbi lui même "lecture vecotielle". Cela lui permet d'arriver à des conclusions telles que " la limitation de la polygamie à 4 épouses n'est qu'un pas vers l'abolition de celle ci".

Anonyme a dit…

révélation en fonction du contexte historique? si l'on va jusqu'au bout de ce raisonnement :les lois coraniques ne sont plus valables de nos jours.
quant à la métaphore que tu invoques ;je ne trouve aucune évidence .Je ne crois pas que Dieu avait pris en considération les soit disant tabous de juifs et chrétiens mais plus tôt il a reproduit la manière avec la quelle se comportent les bédouins arabes avec une femme.Et puisque tu t'intersses Au makased le livre de Hamed Abouzeid"al khitab wa tawil"peut être utile

Anonyme a dit…

@CITOYEN
Tu parles en dirait que tu connait les desseins de Dieu :"je ne crois pas que Dieu avait pris en considération les soit disant tabous de juifs et chrétiens mais plus tôt il a reproduit la manière avec la quelle se comportent les bédouins arabes avec une femme".
Alors ne parle pas de choses que tu ne peux pas connaitre.
Mais ce qui est important dans ce qui a dit Talbi c'est son effort de COMPRENDRE LE POURQUOI DES CHOSES , de ne pas accepter des interpretations literalistes qui ne font que repéter ce qui a été dit avant et de ne pas raisonner d'une maniere islamocentriste .
ASHTAR

ASHTAR

Maryam a dit…

Salut, très intéressant ton article, il permet de faire comprendre le contexte des ayat qui sont extraites telles quelles par les mécréants.
Un seul hic me désole, c'est quand tu dis que le Coran "n'est pas un texte clos ; il est, selon ses propres termes, hudan (326 occurrences) « guidance », « il guide vers ce qui est le meilleur » (Coran : XVII, 9)"
Bien sûr, le Coran est une guidance. Le meilleur conseil est la religion. Mais ça ne veut pas dire qu'il n'est pas clos! Les lois musulmanes sont écrites par des grands savant, d'après leur connaissance approfondie du Coran et les hadiths, qui en sont un complément, mais ils sont tous d'une actualité intemporelle. Il n'est pas question de changer les lois selon nos perceptions modernes, à notre gré. Personnellement, je suis une femme et je sais à quel point une femme peut faire des manigances terribles contre une autre. Il y a peut-être une sagesse dans la loi des témoignages qui échappe à nos connaissances scientifiques, mais qui de toutes façon est dans un sujet si tabou qu'il n'en serait jamais question dans des lois étatiques occidentales.

Anonyme a dit…

Mais si vous accusez tant les traductions de divergences et de non fiabilité (chose qui est fausse d'ailleurs, car je lis et écris l'arabe, et je sais ce qui en est), pourquoi donc n'annulez-vous pas les interprétations du coran aussi? Car elles sont aussi divergentes.

Ainsi, on prendra le coran tel qu'il est, un coran qui autorise de frapper sa femme, un coran qui ne proscrit pas la pédophilie, un coran qui infériorise la femme, un coran qui relate avec délectation les actes de guerre et de meurtre.

Soyons honnêtes.