lundi, août 20, 2007

Dans le Coran, homme et femme font la paire.

La femme, Dieu en a fait l'égale de l'homme ; la charia, et non le Coran, l'a avilie et lui a donné un statut que Ghazali (m. 1111), surnommé « l'argument de l'Islam », a résumé en un mot : « servitude ». La réalité fut beaucoup plus nuancée, surtout dans la haute société.

À la femme musulmane, confrontée à l'islamophobie et qui se bat aujourd'hui contre la charia fabriquée par des hommes d'un autre âge pour un autre âge, rappelons ce verset par lequel débute la sourate Les Femmes : « Ô hommes ! Craignez votre Seigneur qui vous a créés d'une seule et même âme (min nafsin wâhida ; de celle-ci Il créa la paire (zawjahâ) ; et des deux Il répandit beaucoup d'hommes et de femmes (IV, 1 ; voir aussi : VII, 189 et XXXIX, 6).»

Pour saisir pleinement le sens de ce verset, et des deux autres qui expriment la même idée, soulignons que le mot zawj, qui signifie littéralement paire, désigne indifféremment l'époux et l'épouse. Dans le Coran, pas de trace d'une Ève tentatrice, créée d'une côte tordue volée à Adam durant son sommeil : homme et femme font la paire, une seule et même âme en deux.

Et la Tradition confirme. On rapporte ce dit du Prophète : « Les femmes sont les paires (shaqâ'iq) des hommes. » Aucune différence, en somme, autre que l'égalité dans la différence. Et peu de chose fait cette différence, daraja, dit le Coran (II, 228), qui n'entame l'égalité que lorsque c'est la nature qui fait la différence. Aujourd'hui, les généticiens constatent que dans les faits, les deux sexes peuvent se trouver mêlés, à des degrés divers, chez les individus, et que, même au niveau chromosomique, la différence des sexes est difficile à définir.

Il suffit de parcourir le Coran pour se convaincre qu'il ne s'adressait pas à des incultes et à des imbéciles. Cependant, dans l'imaginaire général, pas seulement occidental, Arabe est synonyme de bédouin et de nomade, ce qui n'est que partiellement vrai. L'anté-islam est qualifié de Jâhiliyya, un mot auquel on donne le sens de période de grossière ignorance, ce qui est une erreur. En fait, la Jâhiliyya désignait la Gentilité, l'époque païenne qui avait précédé l'islam, et le paganisme peut s'accompagner - à preuve, Athènes et Rome - d'une brillante civilisation. Les Arabes Thamûd du Hidjaz du Nord étaient d'ailleurs en relation avec Rome, puis avec Byzance, et nous ont laissé des milliers d'inscriptions en Arabie centrale et septentrionale. On lit dans L'Encyclopédie de l'Islam, sous la signature de C. E. Bosworth, que les Thamûds avaient notamment « construit un temple pour les deux Augustes, Marc Aurèle (161-180) et Lucius Verus (161-169) ». Les Arabes de l'anté-islam n'étaient pas les sauvages qu'on imagine généralement.

La Mecque, particulièrement, était une riche cité marchande reliant l'océan Indien, par le Yémen, à l'Empire byzantin, par la Syrie. Au sud, l'oasis de Najrâne était un important centre industriel spécialisé dans les tissus de luxe, particulièrement la soie. Au nord, Médine était un important centre agricole où se côtoyaient, à peu près à égalité, Arabes païens et Juifs, avec une petite minorité de chrétiens.

A Médine, écrit Gaudefroy-Demombynes, tout n'était « que chant, corde basse, chanterelle ». On aimait boire, écouter de la musique et chanter. Le Prophète, en arrivant à Médine, fut accueilli par les chants des jeunes filles sorties à sa rencontre. Il faut donc distinguer les citadins, parmi lesquels est descendu le Coran, des nomades qui vivaient sous les tentes, et en perpétuel déplacement au gré des pâturages. Si la vie des nomades était marquée par la rudesse des moeurs, celle des citadins était d'une grande civilité et ne manquait pas de raffinement.

À Médine, les femmes raffolaient particulièrement des étoffes de luxe et du parfum, et le Prophète, toute sa vie le confirme, n'était pas misogyne : il aimait les femmes. J'ai écrit ailleurs, en risquant un anachronisme, qu'il faisait déjà figure de féministe. Un hadith attribué au Prophète, et qui a toutes les chances d'être authentique, lui fait dire : « J'ai aimé trois choses de ce monde : les femmes, les parfums et, mon suprême bonheur, la prière. » En islam, en effet, la sexualité, lorsqu'elle ne déborde pas le cadre de la légitimité, est bonne, et peut même être une forme de prière que certains soufis ne dédaignaient pas.

L'acte d'amour y relève du sacré, ce qui est inaccessible à la mentalité occidentale nourrie de l'horreur chrétienne de la chair, d'où toutes les polémiques médiévales contre l'islam accusé de luxure.

A La Mecque et à Médine, les étoffes de luxe, particulièrement la soie, venaient de Najrâne ; mais aussi de Chine via la Perse. Les cotonnades venaient d'Égypte et portaient le nom de leur origine, coptes (qibtî). Pour la soie, on avait plusieurs noms qui correspondaient à des qualités différentes et qui sont autant d'indicateurs de la diffusion de son usage. La Tradition qui l'interdit aux hommes, mais pas aux femmes, n'a rien de prophétique et fut sans doute forgée par les puritains faqîhs (docteurs de la Loi) des périodes omeyyade et surtout abbasside (VIIIe-Xe siècles), pour lutter, d'ailleurs en vain, contre le luxe devenu tapageur à la cour.

Les femmes, celles de la haute société, bien entendu, qui seules en avaient les moyens, aimaient soigner leurs toilettes. Dès l'anté-islam, les femmes aimaient se faire belles, s'habillaient de soie, portaient des bijoux, bracelets d'or (asâwîr), colliers de perles (lu'lu'), etc. Il y avait des coiffeuses (mâshita, et non hallâqa, terme impropre, utilisé aujourd'hui, qui signifie raseuse), des esthéticiennes appelées muqayyina, certaines spécialisées dans l'épilation (munammissa), surtout des sourcils.

L'usage du pantalon, pour femme, était courant, et il était même encouragé par le Prophète. Les faqîhs postérieurs seront beaucoup plus pudibonds. Ils n'empêchèrent pas cependant, malgré leurs réprobations indignées et répétées, les femmes de se vêtir de vêtements légers (al-thiyâb al-raqîqa), de préférer les tissus coptes les plus transparents (al-ashaffu), qui dessinent (tassifu) le corps et lui collent (taltasiqu bihi), au point de modeler les rondeurs ('ukan), les fesses (a'jâz) et le reste, nous dit Ibn Habîb, dans son Kitâb al-Nisâ' (Le Livre des femmes). Ibn Habîb déconseille, ou condamne (yukrahu), mais ne préconise aucune mesure répressive, et ne dit pas que cela est formellement interdit (yuhramu).

Dans la haute société courtoise, la femme était adulée. Elle était l'icône de tous les désirs et de tous les fantasmes, l'inspiratrice des poètes et le mystère qu'aucune approche ne permet de percer. Elle était poésie et se vêtait littéralement de poésie, poésie tissée dans ses vêtements, incrustée sur ses bijoux, ou écrite sur les fruits qu'on lui offrait, pomme ou cédrat, porteurs de messages et chargés de symboles.

Les fleurs, particulièrement, étaient tout un langage. Il faut lire le Muwashshâ' (Broderies) d'Al-Washsha' (m. 325/936) ; les Aghânî (Le Livre des chansons) d'Al-Isfahânî (m. 356/967) ; le Tawq al-Hamâma (Le Collier de la colombe) de l'Andalou Ibn Hazm (m. 456/1064) ; le Masâri' al-'Ushshâq (La Nécrologie des Amoureux) d'Al-Sarrâj (m. 500/1106) ; le Kitâb al-Zurafâ' (Le Livre des raffinés) d'Ibn al-Jawzî (m. 597/1200), pour mesurer, en tout (vêtement, gastronomie et langage), le raffinement qui imprégnait la vie de la société courtoise, réglée autour de la femme.

Un maître célèbre ès courtoisies, le musicien Ziryab, ouvrit, écrit Lévi-Provençal, au IXe siècle, à Cordoue, « si l'on peut dire, un véritable institut de beauté, où l'on enseignait l'art de se farder, de s'épiler, d'employer des pâtes dentifrices, de se coiffer, non plus en laissant les mèches de cheveux, séparées sur le milieu de la tête, retomber sur tout le front et recouvrir les tempes, mais en les portant courts et arrondis, dégageant les sourcils, la nuque et les oreilles ».

Les femmes de la haute société n'étaient pas seulement raffinées, elles étaient aussi souvent d'une grande culture littéraire, et quelquefois émancipées. Les poétesses étaient nombreuses. On ne peut toutes les citer. On connaît la princesse Wallâda de Cordoue, qui avait inspiré à son amant, le vizir Ibn Zaydoun, ses meilleurs poèmes : « Bonheur ! Corps contre corps enlacés ; bouche contre bouche écrasées. Pur délice ! » Et, quand vint la séparation : « Tu t'es éloignée ; je me suis éloigné. Ni nos coeurs n'ont guéri ; ni nos larmes n'ont séché. » On ne l'avait pas lapidée - la lapidation pour adultère est une peine biblique, inconnue du Coran -, on l'admirait plutôt, elle et ses émules, comme on admire aujourd'hui les stars.

Le sort de la femme musulmane s'est dégradé avec la dégradation de la vie économique, et la décadence générale qui s'en est suivie, c'est-à-dire avec le ratage de la révolution industrielle, des richesses qu'elle a créées et du nouveau statut qu'elle a offert aux femmes. Là est la différence. Mais cela se rattrape, et se répare.

MOHAMED TALBI, 1 août 2000.

3 commentaires:

Téméraire a dit…

Bien écrit de la part de Talbi, J'APPROUVE :)

Anonyme a dit…

dans le coran homme et femme ne font pas la paire.je prouverai cela,prochainement,dans un post.

laslaa a dit…

je n'ai pas encore le temps de lire ce post
mais j'ai relevé une nuance d'ecriture dont je voudrais te féliciter : "expert ès courtoisieS"
ès est une abréviation de "en les"
donc tout ce qui vient après doit être au pluriel