vendredi, août 10, 2007

"أُّمة الوسط " "La nation du milieu".


Ce texte est une présentation par le penseur et islamologue tunisien Mohamed Talbi de son livre en arabe
"أُّمة الوسط " "La nation du milieu". Editions CERES.


Un jour ou l'autre, tôt ou tard - et plus tôt que tard - les musulmans seront contraints de substituer une lecture dynamique, finaliste (makâsidiyya), de la Révélation - sous peine de désaffection et de désertion meurtrière encore plus accélérée de leurs élites - à la lecture statique, passéiste, à laquelle ceux que l'on désigne par le terme «intégristes», un terme désormais consacré, continuent à s'accrocher... désespérément. La lecture dynamique, finaliste, du texte révélé, n'est pas déviation, ou trahison. Elle est, pour nous, une plus grande fidélité.

Aujourd'hui l'ijtihâd - que nous traduisons par herméneutique - s'exerce encore, lorsqu'on y a recours, à l'intérieur des cadres figés des écoles qui s'étaient constituées entre les VIII et IXè siècles. Ainsi, nombreux sont parmi nous ceux qui refusent, par excès de fidélité au passé, aux Grands Maîtres, l'évolution, la contemporanéité. Ils sont des contemporains anachroniques, et révoltés, d'une contemporanéité qu'ils dénoncent, et récusent, si nécessaire est, par les armes. Au prix de leurs vies, ils s'y opposent avec toute la force et la violence de leurs convictions. Là git le drame de la violence qui, tout le long de l'histoire, y compris la plus récente, ne s'est jamais exercée sans barbarie. Pourquoi citer des exemples? L'actualité en déborde. Civilisés et moins civilisés, se rejoignent dans l'horreur. Aucun, vraiment, ne peut battre sa coulpe sur le ventre du voisin. Terroristes pour les uns, héros et martyrs pour les autres! Avec, souvent, des réhabilitations à posteriori.
Comment sortir de cette logique morbide de la violence, nourrie, dans le cas de l'Islam, de passéisme? Le tout-répressif, s'il n'est pas totalement vain, il est, au mieux, un provisoire palliatif, dans le cas, hypothétique, où il réussit, où il n'aboutit pas au résultat inverse, à l'installation du totalitarisme. Peu importe sa couleur. Il n'y a pas de remède vrai, étiologique, de la répression et de la violence, sans la réconciliation, fondée en doctrine, des musulmans avec le présent, la contemporanéité, le progrès et l'évolution. Pas d'issue sans l'évolution des mentalités.
La clé de voûte de tout le système est la liberté religieuse, qui n'est pas seulement un droit, parmi d'autres, de l'homme. Elle est le droit fondamental, et inaliénable, de l'homme. Dans une perspective islamique, la nôtre, elle est aussi plus : elle est la vocation même de l'homme, liée à son destin exceptionnel, à sa dignité, et à sa mission. C'est ce que nous avons essayé de souligner en nous appuyant sur le texte fondateur, et aussi sur l'histoire vécue, celle de l'Espagne musulmane en particulier.
A partir de là, tout musulman, en parfait accord avec sa foi et sa conscience, peut s'intégrer librement dans une humanité, une et très variée à la fois, dans une Communauté de communautés, où chacun trouve sa place dans le respect des différences : Dieu a voulu la variété, partout, une variété condition nécessaire de l'évolution. L'évolutionnisme n'est pas contraire à la foi, et au Message coranique. Il a son histoire dans la pensée musulmane.

Le problème de la femme est plus délicat. C'est contre la femme que s'acharnent particulièrement les lectures intégristes et régressives de la Shariâa. Nous proposons une autre lecture. Le devenir de l'Islam dépend grandement, à notre avis, du sort qui sera réservé à la femme en son sein dans les prochaines décennies. Notre lecture du Message coranique, dans un éclairage historique, anthropologique et sociologique, nous permet d'affirmer que l'Islam avait joué en faveur de la femme, dans des conditions souvent difficiles. Il avait joué, malgré les résistances du milieu, en faveur de la libération et de la dignité de la femme, l'égale de homme. Une lecture finaliste (makâsidiyya) des textes nous invite, et nous incite, à poursuivre la marche dans la même orientation. L'Islam a engagé le processus de libération de la femme. Il ne l'a pas mené à son terme.
Aujourd'hui encore il arrive que les femmes soient battues, pas dans les pays d'Islam seulement. Quant à la polygamie, très répandue dans de multiples sociétés et civilisations, l'Islam, tout simplement, ne l'a pas inventée. Sans l'interdire formellement, il l'a disciplinée, montrant ainsi les préférences et l'orientation. Jusqu'au Xè siècle au moins la polygamie était encore répandue dans le Judaïsme qui, lui aussi, ne l'avait pas catégoriquement abolie, comme illicite, tout en lui apportant plusieurs limitations. Elle est encore autorisée, dans certains cas, en Israël.
Quant au Christianisme, citons Jacques Ellul : «Est-il possible d'être polygame et chrétien ? La réponse semble évidente aux Occidentaux. Et pourtant K. Barth écrit : «Nous ne pouvons pas montrer un seul texte du Nouveau Testament dans lequel la polygamie est strictement défendue et la monogamie décrétée et ordonnée universellement» (Dogmatique, XV, 202, 209), et le théologien catholique Schillebeecks : «Il n'y pas un seul texte où on trouve le commandement que le mariage chrétien doit être monogame ou un commandement interdisant la polygamie» (Mariage : Secular reality and saving mystery, I, 284).
En Islam la polygamie n'est pas un dogme. Rien n'empêche d'y renoncer, ou de l'interdire. C'est tout juste une tolérance contre laquelle la femme musulmane, dans les premiers siècles de l'Islam, a su se prémunir en posant ses conditions dans son contrat de mariage, tout comme la femme juive dans sa ketubbah. Il n'est pas interdit de penser à des influences.
Les textes ici réunis, en proposant des lectures conformes aux finalités (makâsid) de la Révélation, ont pour but de convaincre le musulman par la foi et la praxis, qu'il peut vivre pleinement sa foi, sans rupture ni dichotomie, sans schizophrénie tout en assumant pleinement la contemporanéité.
On ne transforme pas les mentalités par la contrainte, et le tout-répressif.
La violcence qui est désespérance, commence d'abord dans les esprits.
C'est donc sur les esprits qu'il faut agir. Seule la conviction intime peut les faire évoluer. De cette évolution dépend l'insertion des musulmans dans la modernité et la contemporanéité, dans un monde à la recherche d'une éthique planétaire. Certains cherchent à donner à cette éthique des «fondements naturels».
Faut-il que les religions, en refusant l'évolution, se laissent marginaliser ?!


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