mercredi, juillet 04, 2007

Un grand poète arabe qui disparaît : Aboul Kacem Chabbi.

Depuis quelques années s'installait parmi les littérateurs arabes les plus côtés et les poètes chevronnés, une figure nouvelle qui de prime abord, appela sur elle l'attention de tout l'Orient et, gravissant quatre à quatre les échelons de la gloire, s'imposa à l'admiration des foules.
Les vieux poètes, dont les années avaient consacré la gloire, s'étonnèrent de l'intrusion de ce néophyte qui semblait vouloir saper leur vieille réputation et consentirent à examiner ses poésies : une âme nouvelle, une âme débordante vibrait, inestimable. Urrlong cri de désespoir qui monte vers les solitudes éthérées, un sanglot déchirant qui empoigne les cœurs et laisse le lecteur pantelant, une plainte émouvante et suave d'une jeune âme qui veut vivre et qui se sent condamnée. Car Aboul Kacem Chabbi portait en lui un mal qui ne pardonnait pas et qui finit par le terrasser hier, alors qu'il terminait sa vingt-sixième année. Il observait des choses avec l'acuité d'un moribond et les disait dans une langue divine, une langue hardie, point encore employée avant lui par la routine. Dans ses vibrants réquisitoires et ses plaintes marquées du plus noir pessimisme, Chabbi ne craignait point parfois de s'adresser à Dieu–tant il est vrai, et le Coran l'a dit le premier, que dans tout poète il y a du mécréant et de l'athée – et c'est ainsi qu'il se mit à dos tous les conservateurs et les imitateurs des anciens, et il s'en fit des ennemis irréductibles. Néanmoins, Chabbi était un poète d'avant-garde et ne tarda pas à faire école, et quelle école ! En Tunisie, il fut toujours suspect et n'eut que quelques adeptes, mais en Orient, en Egypte et en Syrie surtout, il eut de nombreux admirateurs et de non moins nombreux continuateurs. Tous les poètes d'avant-garde imitent Chabbi, et c'est de la Tunisie que leur vient la lumière, la Tunisie qui, pour les choses de l'esprit, fut longtemps tributaire de l'Orient et qui, aujourd'hui, s'honore et s'enorgueillit d'avoir enfanté Chabbi, en qui les poètes voient un prodige, un surhomme, un demi-dieu.
Aujourd'hui, cette muse s'est tue. Tel Hégésippe Moreau, l'immortel auteur des "Feuilles d'automne", il chanta la nature, fit pleurer ses lecteurs et mourut jeune.
Ses poèmes faisaient la parure d'Appolo, une revue littéraire égyptienne, très recherchée, et qui ne reproduit que les œuvres des meilleurs écrivains et poètes arabes.
La revue tunisienne El'Alam El Adabi en a elle-même reproduit plusieurs, et la maison d'édition égyptienne "Ettaâoun" devait éditer ses œuvres complètes qu'il était en train de classer sur son lit de souffrance, lorsqu'une mort implacable vint le frapper, mettant en deuil ses amis et admirateurs et les innombrables amis inconnus qu'il s'était faits dans tout l'Orient.
Devant cette tombe prématurément ouverte, nous nous inclinons profondément et présentons nos condoléances à tout l'Orient arabe, à ses écrivains, à ses poètes.

Abedlaziz Laroui, le Petit Matin ; 11 octobre 1934.

2 commentaires:

Hayy a dit…

Les meilleurs partent tôt!
C'était vraiment une âme à part.

Jalel El Gharbi a dit…

Chebbi est un poète d'une grande envergure, un poète dont l'oeuvre demande à être relue.
Je ne connaissais pas cet article sur lui. Merci.
http://jalelelgharbipoesie.blogspot.com/