jeudi, septembre 06, 2007

Le Coran déprécie-t-il la femme ?

Texte de MOHAMED TALBI. Publié le 5 décembre 2000.

Sous le titre « L'islam et les femmes », un lecteur signant J.V , qui n'est sûrement pas un novice en la matière, cite, dans un courrier du Figaro, quatre versets coraniques qu'il juge dépréciatifs pour la femme et attestant, dans le texte « fondateur » de l'islam, son statut d'infériorité. Nous allons les reprendre, dans l'ordre, avec une brève élucidation du sens, non pas tellement pour les non-musulmans et les nés musulmans « désislamisés » - ceux-là leur religion est faite, pour eux bien faite, définitivement faite, et je n'ai aucun désir de polémiquer -, mais pour les musulmans, particulièrement ceux qui vivent en Occident, et plus particulièrement encore pour les euro-musulmans.

1) Sourate II, verset 228 : « Vos femmes sont pour vous un champ de labour. Allez à votre champ comme vous voudrez. »

Il s'agit de toute évidence d'une métaphore. Pour en comprendre le sens, il nous faut nous souvenir des tabous sexuels. La sourate II a été révélée - nous disons en vocabulaire coranique et musulman « est descendue » - à Médine, c'est-à-dire dans un milieu où le tiers de la population au moins était constitué de Juifs très conservateurs, fortement attachés à l'éthique sexuelle talmudique qui réglemente d'une manière précise et très restrictive les relations entre époux, et interdit particulièrement tout rapport anal. Il y avait aussi à Médine, en moins grand nombre, des chrétiens pour qui la sexualité confine au péché. En 165, saint Justin écrit : « Nous, chrétiens, si nous nous marions, c'est pour élever des enfants. » Et pour saint Augustin (354-430) l'acte d'amour entre époux reste quand même un péché, il est vrai véniel cependant, tolérable en somme. Dans ces conditions, le célibat est préférable au mariage, et le meilleur des états est celui d'eunuque (Matt. : XIX, 12). On connaît la polémique chrétienne contre l'islam accusé d'être laxiste, et contre le Prophète aux moeurs dissolues. L'éthique chrétienne, très exigeante en matière de sexualité, est du reste sans cesse rappelée par le Saint-Siège aux fidèles. C'est dans ce contexte qu'il faut placer le verset en question.

L'islam, en situation polémique à Médine avec le judaïsme et le christianisme, rejette tous les tabous sexuels. Aux interrogations des musulmans confrontés à ces tabous, le Coran répond : « Vos femmes sont pour vous un champ de labour. » Cette image était fréquente dans de nombreuses traditions religieuses (Mircea Eliade, Traité d'histoire des religions, Paris, 1949, pp. 224-227) et n'avait rien de péjoratif. Dans un verset précédent, il est fait appel à une autre image : « Elles sont un vêtement pour vous et vous êtes un vêtement pour elles » en toute participation et toute égalité. Le verset en question, dont de nombreux théologiens musulmans ont voulu restreindre le sens, signifie donc : pas de tabous sexuels, tous les orifices sont bons, labourez vos femmes de caresses et laissez-vous labourer par elles. L'acte sexuel en islam est un acte d'amour sans restriction. Loin de confiner au péché, il peut s'élever au niveau de la prière, même chez les soufis, ce qui est inconcevable pour une mentalité occidentale, et c'est ce que fait ressortir Malek Chebel dans son Encyclopédie de l'amour en islam (Payot, 1995), en mettant en relief « le bien jouir » dans l'éthique sexuelle musulmane.

2) Sourate II, verset 228 : « Les hommes ont une prééminence sur elles. »

Il s'agit d'une mauvaise traduction d'une expression hors texte et légèrement tronquée. J.V. reproduit la traduction de Denise Masson, qualifiée faussement de « traduction reconnue par l'islam » orthodoxe « comme la première interprétation valable en français du texte musulman fondateur. » Il s'agit d'un mythe soigneusement propagé et entretenu par l'auteur. Il n'y a pas de traduction canonique du Coran.

Le Coran a été traduit au moins dans une centaine de langues. En 1989, Hamidullah, auteur d'une traduction française, cite, avec nom d'auteur, titre, date et lieu d'édition : 175 traductions anglaises, 70 françaises et 60 allemandes. Cette abondance est la preuve qu'il n'y a pas de traduction parfaite, canonique ou « orthodoxe » du Coran, et elle est une éloquente illustration de l'adage latin : traduttore, traditore (« traducteur, traître »). Le Coran est le seul texte sacré qui nous soit parvenu dans son intégralité, dans sa langue originelle, par une transmission écrite et orale continue et simultanée. Lorsqu'on voit les divergences entre les traductions, on dit : heureusement ! Dès lors et en définitive seul le texte arabe fait foi.

Voici la traduction de Médine, en remplaçant Allah par Dieu, et en y insérant un mot omis : daraja (« degré »). Nous donnons le verset en entier pour remettre l'expression dans son contexte : « Les femmes divorcées doivent observer un délai d'attente de trois menstrues ; et il ne leur est pas permis de taire ce que Dieu a créé dans leurs ventres, si elles croient en Dieu et au Jour dernier. Et leurs maris seront plus en droit de les reprendre pendant cette période, s'ils veulent la réconciliation. Quant à elles, elles ont des droits équivalents à leurs obligations, conformément à la bienséance. Mais les hommes ont cependant prédominance d'un degré sur elles. » Berque traduit « préséance ».

Selon la Loi mosaïque, un homme qui a répudié sa femme, si celle-ci se remarie, est de nouveau répudiée ou devient veuve, son premier mari ne peut plus la reprendre « après qu'elle aura été rendue impure. C'est une abomination devant le Seigneur » (Dt. : XXIV, 1-4).

On saisit la modification introduite par le Coran dans le milieu médinois, fortement peuplé de juifs avec lesquels le Coran est en constant dialogue. En islam, le mari, dans la période « d'attente de trois menstrues » jouit d'un privilège, ou d'une « préséance d'un degré », s'il désire sincèrement « la réconciliation », et s'il n'est pas mû par une quelconque arrière-pensée, pour reprendre sa femme. De toute évidence, la mesure vise la stabilité du mariage, car si l'islam, comme le judaïsme, autorise le divorce - dont la femme en parfaite égalité avec l'homme peut prendre l'initiative si elle le stipule dans son contrat de mariage - il n'en reste pas moins que, selon un dit du Prophète bien attesté, aux yeux de Dieu, le permis le plus détestable est le divorce. Pas question donc dans le verset en question d'une quelconque infériorité de la femme. Si celle-ci refuse « la réconciliation », elle peut toujours plaider la mauvaise intention du mari. Le droit moderne n'est pas meilleur dans un domaine aussi délicat que le mariage, dans lequel il faut bien aussi prendre en compte l'intérêt des enfants.

3) Sourate II, verset 282 : « Le témoignage d'une femme vaut la moitié de celui d'un homme. »

Il ne s'agit pas d'une traduction, mais d'un abrègement appréciatif de l'auteur. Voici la traduction de Médine du verset en question. À propos du contrat de reconnaissance de dette le Coran stipule : « Faites-en témoigner par deux témoins d'entre vos hommes ; et à défaut de deux hommes, un homme et deux femmes d'entre ceux que vous agréez comme témoins, en sorte que si l'une d'elles s'égare, l'autre puisse lui rappeler. » Il n'est pas dit que « le témoignage d'une femme vaut la moitié de celui d'un homme ». La femme n'est pas la moitié d'un homme : elle est avec l'homme une même âme en deux. La raison invoquée n'est pas l'infériorité congénitale de la femme par rapport à l'homme, mais le fait que la femme, selon les idées de l'époque et la répartition sociale des tâches, était considérée plus exposée que l'homme - davantage engagé dans les affaires de commerce et de dettes - à l'oubli dans ce domaine particulier. Si l'on tient compte des coutumes de l'époque et du milieu de Médine, où le commerce était dans une large mesure dominé par les juifs, donc par la Loi mosaïque, le verset en question a un caractère révolutionnaire pour la promotion de la femme qui, selon la Loi mosaïque, est complètement disqualifiée en matière de témoignage (Dt. : XXIX, 15 ; confirmée par Jésus, Jn. : VIII, 17 ; et Mt. : XVIII, 16).

En Israël, la disqualification des femmes en matière de témoignage ne fut abolie qu'en 1951. Le Coran, vu les pesanteurs de l'histoire et les conditions de l'époque, n'avait pas pu aller plus loin - ce n'était pas sage de le faire - mais il avait indiqué la bonne direction, et c'est ce qui compte : l'évolution vers l'égalité, dans le témoignage comme en tout. Le Coran en effet n'est pas un texte clos ; il est, selon ses propres termes, hudan (326 occurrences) « guidance », « il guide vers ce qui est le meilleur » (Coran : XVII, 9).

4) Sourate 4 verset 34 : « Les hommes ont autorité sur les femmes [...] et frappez-les. »

J.V. altère la traduction de D. Masson : il remplace « Dieu » par « Allah » ; comme il connaît les nuances de sa langue, on voit l'intention ; et il supprime un mot : « assurer ». De toute façon la traduction est mauvaise. Voici celle que nous proposons : « Il est fait obligation aux hommes de subvenir aux besoins (qawwâmûna) des femmes, en raison des avantages consentis par Dieu aux uns sur les autres, et il leur incombe de ce fait de faire dépenses sur leurs biens. Les femmes de bien font preuve de dévotion, et ne divulguent pas la vie intime qui est sous protection de Dieu. Quant à celles dont vous craignez la rébellion et la répulsion (nushûzahunna), raisonnez-les ; faites lit à part avec elles ; enfin battez-les. Si elles vous obéissent, il ne vous reste plus aucune raison d'être injustes envers elles. Dieu est Haut et Grand ! » Sous-entendu : pensez-y.

Faute de place nous ne pouvons commenter ce verset. Limitons-nous à dire que dans toutes nos sociétés, l'homme est chef de famille. Battre les femmes était une coutume de La Mecque. Elle fut interdite après l'Hégire à Médine, ce qui provoqua de graves troubles sociaux à la veille de la bataille d'Ohod. Le temps n'était pas aux troubles. Le verset ci-dessus vint y mettre fin. Le Prophète commenta : « Le meilleur d'entre vous ne frappe pas sa femme. » Eu égard à ces considérations, un exégète aussi rigoureux que le Tunisien Tahar Ben Achour estime que battre sa femme est un délit qui relève des tribunaux.

ACCIDENT DE JAVELOT .

Âme sensible s'abstenir.


mercredi, septembre 05, 2007

Code de la route, d'autres sens.

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Ramadan dans une semaine.

Moins d'une semaine nous sépare du Ramadan de l'année 1355, le mois durant lequel les Musulmans observeront le jeûne , douze heures environ par jour.
Pendant ces trente jours, ou vingt neuf – jamais trente et un sauf erreur, rare du reste– la vie à la Médina marchera au ralenti, les cafés maures seront fermés toute la journée, les gros travaux seront laissés au mois de Chawal, les grosses affaires ne seront pas conclues, un horaire spécial permettra aux fonctionnaires de ne faire que quelques heures de présence dans les administrations, les boucheries, les épiceries les pâtisseries seront assiégées, les oeufs, le miel, le beurre, les poulets connaîtront des cours jamais atteints en temps ordinaire, la garde-robe de chacun sera renouvelée selon ses moyens, les magasins de confection, de bonneterie, de chaussures, de soieries, les tailleurs connaîtront le "coup de feu" des années d'opulence et auront l'illusion d'un retour de ces temps révolus, les mendiants seront gavés et il ne leur sera permis d'avoir faim qu'aux heures où tous les fidèles auront faim ; certains restaurants qui recrutent le plus clair de leur clientèle parmi les musulmans, mettront leurs lumières en veilleuse, fermeront ou feront faillite, une clientèle qui ne consommera pas, stationnera des heures entières sur les terrasses des cafés de l'avenue au grand dam des garçons qui supputent en de longs calculs mentaux les bénéfices dont ils seront ainsi frustrés.
Le soir, la ville sera illuminée à giorno, les minarets clignoteront, des guirlandes multicolores égayeront les souks, les rues, les places. Une vie nocturne, grouillante, tapageuse, criante, jacassante, faite de mille bruits, de mille musiques ; les forgerons, les chaudronniers feront retenir l'enclume, les savetiers battront leur cuir, les chaouachis gratteront leurs chéchias, les bransis chanteront vit cousant leurs jebbas ; les taxis, les voitures de place trimballeront des familles entières, bruits de ferraille, échappement libre, claquements de fouets, son de trompe, de claxon, jurons variés, rires, plaisanteries, brocards, quolibets, les cafés maures se torpilleront A coups de phonographes, Abdulwahab, Oum Kolsoum, Chafia, Fethia, malouf, jazz ; les agents de la Médina tiendront un barrage de protection pour prévenir les incursions des dames musulmanes dans l'enceinte d'Halfaouine où un Luna-Park miniature fera courir la population avec ses manèges, ses balançoires, ses tirs, ses karakouz.
Smail Pacha, tabbal, zakar, lanternes magiques, cartomanciens, prestidigitateurs, exhibitions de boxe, de lutte, jeux de hasard, dés, bonneteau, danse du ventre.
Dans quelques jours cette dernière tiendra ses assises un peu partout. Des concerts orientaux sortis on ne sait d'où verront les évolutions de telle ou telle danseuse, retiendront des trémolos de tel ou tel chanteur et feront plusieurs séances par soirée. Installations de fortune la plupart du temps, bâches à protection précaire, chaises mobiles, entrées uniques, portes de secours inexistantes, peu ou pas de police. La Municipalité aura fort à faire pour délivrer les autorisations qui seront subordonnées au passage d'une commission "ad hoc". Souhaitons, dans l'intérêt des spectateurs, et pour que toute cause d'accident soit le plus possible éliminée, qu'on ne soit pas trop généreux dans la délivrance des autorisations d'ouverture de concerts orientaux.
La fête durera très tard dans la nuit. On dansera, on jouera, on travaillera partout. A cinq heures du matin un coup de canon clôturera toute activité, arrêtera tout bruit, éteindra toute lumière. Après le lest du "s'hour" chacun demandera à un sommeil réparateur, un repos bien gagné et toute la matinée du lendemain la ville sera déserte sauf quelques balayeurs faméliques qui balayeront sans conviction les débris de la fête et quelques cochers qui sommeilleront sur leur siège, semblant être là uniquement par acquis de conscience.
A midi, comme sous l'effet d'une baguette magique, la ville se réveillera, les citadins, les yeux rouges de sommeil, sortiront avec leurs couffins, allant aux provisions, les bouchers ouvriront avec fracas leurs éventaires, les voitures à bras rouleront et leurs conducteurs crieront leurs marchandises ; les marchandages commenceront, les cris, les appels, les disputes, les coups de poing et les coups de bâton d'une population exacerbée, bougonne, susceptible, les nerfs à fleur de peau de n'avoir pas mangé...


ABDELAZIZ LAROUI. Le petit Matin ; 11 novembre 1936.

mardi, septembre 04, 2007

Caméra cachée à la russe, pas mal du tout.

Mariage, avant et après.


Avant : 2 fois par nuit
Après : 2 fois par mois

Avant : Tu m'essouffles
Après : Tu m'étouffes

Avant : Ne t'arrête pas
Après : Ne commence pas

Avant : Saturday Night fever
Après : Wednesday Night football

Avant : Être à tes côtés
Après : Reste de ton côté

Avant : Je me demande ce que je ferais sans elle
Après : Mais qu'est-ce que je fais avec elle

Avant : érotique
Après : névrotique

Avant : on croirait qu'on est ensemble depuis toujours
Après : On est toujours ensemble

Avant : Hier soir, on l'a fait sur le canapé !
Après : Hier soir, j'ai dormi sur le canapé!

Mariage et religion.

Une jeune fille revient tristement d'un diner en amoureux avec son petit ami. Elle va chez sa mère pour lui parler de ses malheurs.
" Tu as l'air bien triste, " demande sa mère, " que se passe-t-il? "
" Pierre m'a demandé en mariage il y a à peine une heure. "
" Mais, je croyais que tu l'aimais, c'est merveilleux, non? "
" Tu ne comprends pas, maman! Il est athée! "
" Je ne vois pas où est le problème avec la religion. Ça ne t'empêche pas d'avoir tes propres croyances. "
" Mais... c'est absurde! Il ne croit même pas que le ciel et l'enfer existent! " La mère regarde sa fille avec un sourire en coin.
" Ne t'en fais pas. Pour le ciel, il verra lorsqu'il sera mort et pour l'enfer, nous allons nous charger toutes les deux de lui prouver qu'il existe! "

lundi, septembre 03, 2007

أطول من الحمار و أقصر من البغل

هذا هو الطول المفترض للُبراق اللذي يُعتقد أنّه نقل الرّسول محمد صلّى الله عليه و سلّم من مكةّ إلى القدس في ليلة الإسراء و المعراج حسب بعض الرِوايات.
بقطع النظر عن صحّة هذا الكلام من عدمها, ما هي قيمة مثل هذه المعلومة و بماذا يمكنها أن تنفع النَاس؟
مثل هذه الإجتهادات و الفتاوي مُتعدِدة إلى حد يصعب معه حصرها.
فمنهم من إعتبر صلاة الرّجل باطلة إذا مرت أمامه و هو يصللي إمرأة أو كلب أو حمار(هكذا). ومنهم من أجاز التيمم بحجر آت من كوكب آخر و منهم من منع ذلك (من قلة الحجر). و منهم من أجاز للمرأة أن ترضع زميلها في العمل حتّى تجوز الخلوة بينهما. و منهم من إعتبر أنّ الجنين يمكن أن ينام بين أحشاء أُمه لفترة من الزمن وأن يولد بعد وفاة زوجها بسنوات. و منهم من أفتى بجواز زواج المتعة و الزواج المؤقت...
مثل هذا الخطاب الدٍيني المتكلٍس لا يمكنه إلاّ أن يلحق الضرر بالإسلام و بالمسلمين. فالعمل به كارثة و عدم العمل به وهو الأصلح يجعل المؤمن يعيش في حالة من الإزدواج بين خطاب يسمعه وواقع يعيشه لا علاقة بينهما.
كما من شأن مثل هذا الخطاب, و هذا الأخطر و الأدهى أن يلقي ببعض الشباب في أحضان الحركات السلفيَة اللتي تتخذ من العنف منهجا.
إن تطوير الخطاب الديني و جعله أكثر إلتصاقا بواقع الناس و بمقتضيات الحياة أمر حتمي حتّى يتمكّن المسلم من التفاعل إيجابيا مع العصرنة دون السقوط في هذه الحالة من السكيزوفرانيا مع ما ينتج عن ذلك من مخاطر

Mon trésor.


Aziz, 8 ans le 20 Novembre 2007.



Feriel, 4 ans le 24 décembre 2007.

samedi, septembre 01, 2007

Habib Bourguiba à Jéricho.

C'était le 3 mars 1965, Habib Bourguiba s'adressait aux palestiniens en ces termes.
Source.




Chers frères,
Je ressens en ce moment un double sentiment d’émotion et de fierté. Ému, je le suis lorsque je pense à l’ampleur du désastre que nous avons subi en Palestine il y a dix sept ans. Mais en même temps, l’enthousiasme qui vous anime, la volonté farouche que je lis sur vos visages, la détermination à reconquérir vos droits, tout cela me réconforte et consolide mon optimisme.
Vous savez sans doute que le peuple tunisien alors qu’il menait encore une lutte âpre contre la forme la plus abjecte du colonialisme, a tenu à apporter sa contribution dans la guerre de Palestine. De tous les coins de Tunisie, jeunes et vieux sont accourus ici pour prendre effectivement part à la 1utte dont l’enjeu était d’assurer l’intégrité d’une terre arabe et musulmane qu’ils considéraient comme leur seconde patrie. Le peuple tunisien a pu, au bout de vingt-cinq ans de lutte, fonder un État solide et moderne sur une terre d’Islam débarrassée de toute co-souveraineté et de toute forme de domination politique ou militaire.
Mais nous pensons en Tunisie que notre action ne se circonscrit pas à l’intérieur de nos frontières, La Tunisie qui a combattu le colonialisme est consciente du rôle qu’elle doit assumer dans la libération de chaque pouce de la nation arabe demeuré encore sous l’emprise de l’étranger. J’avais déjà proclamé à la première Conférence au sommet arabe, que la Tunisie était décidée à mettre à la disposition de la cause palestinienne toutes ses potentialités. Je le proclame à nouveau aujourd’hui. Il est toutefois un point sur lequel je voudrais attirer votre attention : vous êtes les titulaires d’un droit violé ; à ce titre vous vous devez d’être à la première ligne du front ouvert pour la reconquête de la Palestine. Il est de mon devoir de vous entretenir en toute
franchise d’un certain nombre de vérités que vous devez avoir présentes à 1’esprit : D’abord votre rôle dans la lutte est primordial. C’est ce que vous ne devez jamais perdre de vue. D’autre part, je voudrais dire, en ce moment où je m’adresse à tous les arabes partout où ils se trouvent que mon expérience personnelle, issue d’une dure et longue lutte, m’a appris que l’enthousiasme et les manifestations de patriotisme, ne suffisent point pour remporter la victoire. C’est une condition nécessaire. Mais elle n’est pas suffisante. En même temps que l’esprit de sacrifice et de mépris de la mort, il faut un commandement lucide une tête pensante qui sache organiser la lutte, voir loin, et prévoir l’avenir. Or, la 1utte rationnellement conçue implique une connaissance précise de la mentalité de l’adversaire, une appréciation objective du rapport des forces afin d’éviter l’aventure et les risques inutiles qui aggraveraient notre situation.
Il faut donc nous armer de lucidité, élaborer soigneusement nos plans et créer toutes les conditions de succès. Il faut préparer les hommes et les doter de moyens. Il faut aussi renforcer notre potentiel de lutte par l’appui de l’opinion internationale. Éviter toute précipitation dictée par la passion, agir avec discernement, en vue d’arriver au but, voilà l’essentiel.
Si toutes ces conditions sont réunies, alors notre cause triomphera, d’autant plus sûrement que le Droit est de notre côté. C’est aux responsables qu’il revient de réunir les atouts du succès. Ces atouts nous manquaient lorsque nous avions, il y a quelques années, engagé la bataille, cette fois-ci, c’est sans répit qu’il faut travailler pour les réunir. Nous devons profiter des expériences passées et nous imposer un grand effort de réflexion. Déjà nous sommes sur la bonne voie ; mais la voie est longue. Pour aboutir au but, notre action exige loyauté, sérieux et courage moral.
Il est extrêmement facile de se livrer à des proclamations enflammées et grandiloquentes. Mais il est autrement difficile d’agir avec méthode et sérieux. S’il apparaît que nos forces ne sont pas suffisantes pour anéantir l’ennemi ou le bouter hors de nos terres, nous n’avons aucun intérêt à l’ignorer, ou à le cacher. Il faut le proclamer haut. Force nous est alors de recourir, en même temps que se poursuit la lutte, aux moyens qui nous permettent de renforcer notre potentiel et de nous rapprocher de notre objectif par étapes successives. La guerre est faite de ruse et de finesse. L’art de la guerre s’appuie sur l’intelligence, il implique une stratégie, la mise en oeuvre d’un processus méticuleusement réglé.
Peu importe que la voie menant à l’objectif soit directe ou tortueuse. Le responsable de la bataille doit s’assurer du meilleur itinéraire conduisant au but. Parfois, l’exigence de la lutte impose contours et détours.
Il est vrai que l’esprit s’accommode plus aisément de la ligne droite.
Mais lorsque le leader s’aperçoit que cette ligne ne mène pas au but, il doit prendre un détour. Les militants à courte vue pourraient penser qu’il a abandonné la poursuite de 1’objectif. Il lui revient alors de leur expliquer que ce détour est destiné à éviter l’obstacle que ses moyens réduits ne pouvaient lui permettre d’aborder de front. Une fois l’obstacle contourné, la marche reprend sur la grande route qui mène à la victoire.
Plus d’un leader arabe s’est trouvé dans l’impossibilité d’agir de cette manière.
Pourtant, notre défaite et l’arrêt de nos troupes aux frontières de la Palestine prouvent la déficience de notre commandement. L’impuissance des armées à arracher la victoire malgré l’enthousiasme des combattants était due à ce que les conditions de succès n’étaient pas réunies.
Aujourd’hui, les chefs d’état travaillent sérieusement à mettre en place un commandement qui soit au niveau de ses responsabilités. Mais cela ne saurait suffire.
Il est nécessaire que les peuples se gardent de gêner, par des débordements passionnels, l’action des dirigeants. Il ne faut pas que leur attachement obstiné à une certaine ligne de conduite mette les responsables politiques en difficulté pour l’exécution de leurs plans. Il ne faut pas qu’on accuse de défaitisme ou de compromission tel au tel leader arabe parce qu’il a proposé des solutions partielles ou provisoires si celles-ci représentent des étapes nécessaires sur la voie de l’objectif.

Mais, pour que le peuple ne gêne pas ou ne tasse pas échec à l’exécution des plans arrêtés, il est nécessaire- comme c’est le cas en Tunisie-qu’il ait confiance en ses dirigeants. Disposant ainsi de leur liberté d’action, ceux-ci sont en mesure d’avancer plus sûrement vers l’objectif. Il m’est souvent arrivé de me trouver dans l’obligation pour être maître de certaines situations, de recourir à la « politique des étapes ».
Lorsque certains militants faisaient preuve de réticences, je m’efforçais de les convaincre que ma méthode ne pouvait déboucher que sur la victoire, surtout lorsqu’apparaissaient chez l’adversaire des signes de faiblesse. Il fallait alors ébranler ses positions de force, entamer son moral et en même temps renforcer davantage notre position.
Quant à la politique du « tout ou rien », elle nous a menés en Palestine à la défaite et nous a réduits à la triste situation où nous nous débattons aujourd’hui.
Nous n’aurions en aucune façon réussi en Tunisie si nous n’avions abandonné cette politique et accepté d’avancer pas à pas vers l’objectif. A chaque pas, à chaque conquête par le peuple tunisien d’une nouvelle position stratégique, la France cédait une partie de ses privilèges ; pour elle, c’était un moindre mal. Elle s’imaginait pouvoir ensuite arrêter le processus. Mais chaque point stratégique conquis augmentait davantage nos moyens d’action. Le processus devenait ainsi absolument irréversible. Ainsi, pas à pas, la France s’est trouvée acculée à la dernière bataille, la bataille de Bizerte où elle ne pouvait que céder définitivement.
En Palestine, au contraire, les Arabes repoussèrent les solutions de compromis. Ils refusèrent le partage et les clauses du Livre blanc. Ils le regrettèrent ensuite.
Si nous avions, en Tunisie refusé en 1954, l’autonomie interne comme solution de compromis, le pays serait demeuré jusqu’à ce jour sous la domination française.
Il est donc essentiel que le commandement ait la liberté de manoeuvre, qu’il soit capable de prendre telle ou teLle initiative et qu’il ait des qualités de sincérité, de probité, de dévouement et de clairvoyance.
Je tenais à vous faire part de ces réflexions en tant que frère rompu depuis longtemps à la lutte anticolonialiste. J’ai inculqué les notions que je viens de vous exposer à vos frères tunisiens qui ont fini par adhérer à tous mes plans d’action.
Il leur est arrivé parfois d’en éprouver un certain malaise. Malgré cela, ils ont accepté de s’engager sous mon impulsion dans telle ou telle expérience car ils ont mis à l’épreuve mon dévouement et ma clairvoyance. Ils ont constaté les résultats.
Aujourd’hui nous sommes libres et indépendants.
Voilà ce qu’un frère a voulu dire à l’occasion de cette visite. Vo ilà le conseil que je crois devoir vous donner ainsi qu’à tous les Arabes. Il est nécessaire d’appuyer les sentiments et l’enthousiasme par une vision claire des données du problème, pour que notre action soit pleinement efficace.
C’est un homme en tout point désintéressé qui vous le dit, un homme dont vous ne pouvez contester la sincérité ni la profonde affection qu’il vous porte.
Nous arrivons au but. Nous n’aurons pas à passer dix-sept ou vingt années encore à nous lamenter vainement sur « la patrie perdue ». Nous en tenir aux sentiments serait nous condamner à vivre des siècles dans le même état. Ce serait l’impasse.
Il faut que, de la nation arabe, montent des voix pour parler franchement aux peuples, savoir que la lutte doit se poursuivre avec tout ce qu’elle comporte de détours, d’étapes, de ruses jusqu’au jour où nous aurons arraché, non seulement pour nousmêmes, mais aussi pour les générations futures une victoire complète et définitive.
Je vous demande de méditer sur ces propos. Chacun de nous aura à rendre compte à Dieu et à sa propre conscience, de ses intentions et de ses actes.
Mon voeu le plus cher est que les Musulmans vivent dans une communion des coeurs encore plus étroite, que les dirigeants réalisent entre eux une meilleure compréhension et combattent tous les complexes de quelque sorte que ce soit : complexes d’infériorité vis-à-vis de l’ennemi dont on serait tenté de surestimer les forces, complexes de supériorité qui risqueraient de nous précipiter dans une catastrophe que nous pouvons sûrement éviter, grâce à un recours incessant à la raison et à l’intelligence.